3 3 3 MAGMA

Magma, c’est un projet fou comme David Evrard, mon professeur de sculpture de master à l’erg, sait si bien les imaginer. De ce que j’ai compris, ça s’est amorcé lors d’un dîner entre amis. David, attablé avec une brochette de vieux ami.e.s qui n’avaient jamais vraiment travaillés ensemble mais se connaissaient toustes depuis longtemps, proposa de faire un projet qui réunirait tout le monde.

A cette table, il y avait Antoine Marchand, le directeur du centre d’art le Lait à Albi et le directeur artistique de l’AFIAC un projet que j’aime beaucoup. C’est une association qui a entre autres pour objectif de : “d’introduire la pratique culturelle dans le quotidien de chacun, comme élément essentiel à la qualité de vie et source d’ouverture au monde” et l’association est “caractérisé par l’événement annuel des artistes chez l’habitant, qui se déploie chaque année au mois de septembre dans dix habitations de Fiac et un an sur deux dans d’autres villages de la communauté des communes.”

Martine Michard qui faisait sa dernière année en tant que directrice de la Maison des Arts Georges et Claude Pompidou à Cajarc. Je ne l’ai pas suffisamment remerciée mais c’est grâce à sa confiance que j’ai pu débloquer des choses dans mon approche de l’art, et c’est grâce à elle que nous avons entamé tant de choses avec Sarah Illouz.

Manuel Pomar, artiste et directeur de l’artist-run space Lieu-Commun

Je crois qu’il y avait aussi Yann Chevallier, le directeur du Confort Moderne qui concentre son travail de curateur sur “des pratiques ‘outsider’ ou minoritaires et avant-gardistes” comme il le dit dans cette interview pour France 3 Nouvelle-Aquitaine en 2017.

Voici le texte écrit par Martine pour décrire le projet : “Une trentaine de jeunes artistes issus de deux écoles d’art, en France et en Belgique, font depuis quelques mois l’expérience collective de créer un espace-temps où chacun cherche sa place, et tous, leur public. À l’initiative de David Évrard, qui conçoit son rôle de prof comme une aventure artistique intégrale avec eux, ils se retrouvent lors de résidences successives sur trois sites en Occitanie.

Ils forment une troupe un peu foutraque, touche-à-tout, révoltée et généreuse. Déterminés à en faire voir des couleurs en tous genres, aux habitants comme aux sangliers. Ils sont tour à tour futuristes, contemplatifs, burlesques… Ils tentent de tenir, d’embrasser, de composer avec un tas de régimes, d’objets, de poses, d’événements… tout ce que peut contenir un ensemble.
Ils conçoivent entre autres une exposition en deux endroits : au centre d’art à Cajarc et à Lieu-Commun à Toulouse. Ainsi que sur la même période, des performances dans les alentours, en ville comme à la campagne. Sur chacune des deux structures l’exposition construit un environnement d’hétérogènes et de contraires.”

Covid rester sur place

peinture à l’argile

bibliothèque décor de stream

Le 4 avril 2021, aux maisons Daura à Saint-Cirq Lapopie, j’interviewais Thibault Chanteperdrix qui était sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle.

Le béret d’apparat de Thibault et le bracelet teint avec la teinture qu’on utilisait pour la laine sur lequel est accroché un bijou coquille Saint-Jacques.

Ben..Euh…On se l’est déjà dit mais tu sais que je m’appelle Thibault, j’ai 31 ans, j’ai engagé un chemin, j’ai engagé une route, j’ai consenti depuis un mois et demi un déséquilibre, un déséquilibre en avant, un  déséquilibre à une vitesse normale, une vitesse qui est la mienne, et ça se traduit par de la marche. Je suis parti il y a un mois et demi de chez moi, là ou j’ai grandi, là ou je suis né afin de te rejoindre aujourd’hui, de vous rejoindre ici. Et cette marche, ce déséquilibre en avant, a été motivé par plusieurs choses, d’une part c’était dans ma vie professionnelle précédente, de me demander pourquoi je faisais les choses, quels étaient en fait les objectifs qu’on a posés devant moi. Et quand tu te rends compte que cette question, pourquoi, est plutôt… on y répond plutôt pour toi, bah il faut pouvoir faire un pas de côté afin d’assumer de vivre libre, d’assumer une réflexion, d’assumer un questionnement quant à ce pourquoi très personnel, et, en te demandant pourquoi tu t’interroges sur ce que tu ressens, à l’instant, au présent. 

Comment ça se traduit ? Par un sentiment de joie, de peine, de tristesse, parfois, de nostalgie, une ambiance de deuil aussi, et une fois ça posé, tu vas te demander : quel est mon besoin ? Comment est ce que je peux me déplacer ? Comment est ce que je peux marcher vers le besoin qui est le miens, vers le besoin associé à ce questionnement. Et, quand j’ai répondu à cette question, il m’est apparu très clair qu’il fallait que je demeure libre, parce que c’est moi et que ça me définit bien, et je cultive mon enthousiasme qui s’était tari avec toutes ces années. Il fallait que je m’inspire, il fallait que je puisse aussi être en mesure d’inspirer, et ça c’est moi aussi : j’aime cette idée d’apporter, j’aime cette idée de servir, et pour cela j’ai décidé de faire ce pas de côté, de quitter ma vie professionnelle, et de m’engager sur ce chemin. 

Ce chemin, il a aussi une connotation très spirituelle ou initiatique comme on l’entend, c’est-à-dire que je questionne toutes les personnes sur mon chemin sur leur définition de la foie. Une définition à chaque fois qui m’est proposée, une définition très individuelle et singulière, une définition qui se traduit, si je dois en faire une synthèse – qui est bien entendu imparfaite puisqu’elle vient de moi et que j’ai été éduqué et conditionné, et par l’écoute et par l’expérience – cette définition pour moi c’est vouloir croire, la foie c’est vouloir croire, c’est se donner le temps de vivre chaque instant, se donner le temps d’observer le bon, le beau, le bien autour de soi. Et il est bien présent, c’est juste un état d’esprit, qu’on peut observer avec cynisme et en fonction de ses expériences, et les miennes voilà, me poussaient à un certain pragmatisme quant aux relations entre les Hommes et la foie. Vouloir croire c’est s’intéresser à chaque humain, à chaque individualité, à chaque histoire, et s’intéresser de cette manière à chaque individualité et à chaque histoire c’est se donner du courage, et il y en a du courage et de la solidarité autour de nous. Et ce vouloir croire pour moi il est central.

Je… c’est marrant, parce que la rencontre avec toi, avec vous, Marius et Sarah, Sarah et Marius, si je suis galant, euh bah… voilà… elle me donne aussi du baume au coeur, elle me donne des raisons de continuer parce ce que derrière vous ou à travers vous je vois une formidable capacité à se questionner, à créer, à avoir un impact positif sur le monde, sur les choses, et c’est éminemment par l’acte créatif, éminemment par l’art. Et c’est tout ce qu’on a en fait, que vous vivez, et moi ça me touche beaucoup. Vos individualités, vos individus, le groupe que vous formez, le récit que vous m’avez fait de cette formidable expérience Magma ça me motive grave, ça me motive à fond, et pour ça je vous dis merci. Parce que j’attachais à la foie le vouloir croire mais vous montrez qu’il faut oser, oser se différencier, oser sortir d’une situation, oser créer, oser disrupter, oser proposer ce qu’on a jamais vu, parce que c’est le fruit de vos personnes, de vos expériences et de votre art en fait. Et ça, c’est génial. Vouloir croire, oser et en fait un petit peu résister, résister à cette vague qu’on peut croire être un tsunami, il faut savoir la surfer, il faut être en conscience, il faut être dans l’instant, il faut savoir comprendre les enjeux bien entendu, pour pouvoir proposer quelque chose de différenciant, quelque chose de positif, avoir un impact favorable envers son environnement par l’acte créatif, par le déséquilibre que ça peut provoquer, parce que c’est éminemment intime comme démarche, ça c’est de la résistance, et il en faut des capacités comme ça, il en faut de cette envie et j’aime bien ça 🙂 ça m’inspire encore.

Ce qui est inspirant aussi pour moi c’est toutes ces démonstrations de solidarité parce que je voyage avec le moins de moyens possible même si parfois je me fais kiffer. Il y a cet échange où je vais à la rencontre des gens pour solliciter leur bienveillance quant à l’alimentation essentiellement, et parfois au gîte quand j’ai trop froid ou que je suis trop fatigué. Et ce qui est super intéressant de souligner et super fort c’est que toutes ces manifestations de solidarité au-delà de les savoir probables, possibles, eh bien quand on les vit ça remplit d’amour. Et si c’était ça la clef ? De privilégier l’amour à la peur. Et si c’était ça le courage ? De voir l’amour en chaque chose et de ne pas succomber à ses peurs, c’est facile à dire mais je pense que c’est quelque chose de quotidien, d’intrinsèque à nos vies en fait. De cultiver la joie, l’enthousiasme, l’amour dans nos cœurs et de ne pas succomber à un cynisme ou à une angoisse, une peur qui peut permettre de gouverner plus facilement mais qui au long terme ternit les Hommes, ternit la liberté en chacun de nous. Et c’est tout ce que j’avais à dire sur ce sujet.

J’ai une question pour compléter, je sens un peu ton esprit d’analyse et de précision en termes et en lexique, est-ce que tu peux dire quelques mots sur ton contexte et qu’est-ce que tu as quitté ? Qu’est-ce qui te fait monter un autre versant de la montagne ? Et quel était cet autre versant peut-être ?

C’est une excellente question qui mérite toute ma considération comme disent les politiques hahahaha. Je vais essayer de répondre directement. Déjà… euh, il est vrai que j’ai vécu avec intention, j’ai vécu avec passion un paquet d’années des expériences professionnelles hyper enrichissantes, qui mont menées à m’engager corps et âme pour une cause, cette cause, elle était centrale. J’ai été militaire un paquet d’années, je servais au ministère de la défense au sein d’un service de renseignements et précédemment dans les forces spéciales, et ça m’a apporté beaucoup. Ça m’a apporté une lecture pragmatique, mais un lecture nourrie de biais, il faut pas être dupe non plus. Une lecture pragmatique sur des rapports d’intérêts stratégiques, des intérêts stratégiques nationaux ou internationaux. Il y a un certain pragmatisme dans les relations internationales qui s’est détaché devant moi, un certain cynisme aussi, et à chaque fois, j’ai eu l’impression que l’optique de mes donneurs d’ordres était de privilégier la finalité aux moyens. Et lorsqu’on justifie la fin de toutes les manières, ça demeure pour moi être une démarche obscure, obscurantiste même. Il faut pouvoir être sûr que le chemin est plus important que la destination. Si tout le monde avec intention s’engageait sur cette voie, je pense que le monde serait meilleur. Cependant, le système est posé de cette manière, ce système est un agrégat d’Hommes, ce ne sont pas simplement des multinationales, des institutions ou des organisations politiques, derrière ça, ces ensembles, ces entités, il demeure des Hommes. Et c’est bien aux Hommes qu’il faut parler, c’est bien de ne pas être submergé par ces entités énormes qui pensent nous écraser. Il faut pouvoir parler aux Hommes, il faut pouvoir parler à leur humanité, à leurs sens, il faut pouvoir leur donner la capacité et leur proposer quelque chose d’innovant. J’ai eu bien entendu des démonstrations de réussite lorsque nous avons été force de proposition, et des choses ont pu bouger mais derrière un système, derrière les hommes qui composent ce système, il y a une capacité de résilience intrinsèque à l’humanité et c’est bien entendu celle-là qu’il faut chercher. Il faut tendre vers cette résilience, il faut trouver ces humanités derrière ces entités, derrière ces systèmes et c’est peu à peu en se positionnant à cheval entre un système établi et ce qu’on considère comme la bonne voie, comme le bon chemin. C’est en se positionnant dans cet état de synthèse que l’on peut attirer le regard des gens que l’on pense cyniques, pragmatiques, des gouvernants très historiquement établis, et c’est en proposant des alternatives pragmatiques en fonction de leurs enjeux vers une voie dont ils n’avaient pas connaissance, conscience aussi, qu’on peut faire bouger les choses. Ne pas être en rupture totale, être dans notre monde, pour notre monde.

T’es fort, hahah, je suis trop touché. Je voulais te poser une dernière question pour terminer, pour ouvrir, de manière un peu poétique : j’ai un peu l’impression que depuis le début de cette crise sanitaire, on a affaire à une humanité en sommeil, que c’est un peu un volcan qui dort. Du coup, vu qu’on travaille sur le festival Magma, qu’est-ce que tu imagines comme irruption potentielle? Qu’est-ce qui pourrait arriver si l’on voulait jouer un peu aux devins? Avec une forme d’imagination druidique, vu qu’on est aussi ici, à Saint-Cirq-Lapopie. 

L’irruption, elle est déjà lancée, je pense que celle-là, lors du premier confinement, lors de cette première privation mondiale de libertés, elle a émergé. Et qu’est-ce que ce premier confinement individuel et collectif a permis ? Il a permis une introspection, il a permis un retour sur soi, il a permis sans forcément mettre ce mot dessus, une vraie spiritualité. La spiritualité ok, il y a le mot esprit à l’intérieur, mais elle a permis un éveil des consciences, une demande de cohérence entre ce que le coeur nous dicte de faire, ce que notre esprit y associe et ce que notre corps peut faire. Et, si on le met en parallèle avec notre humanité, je pense que cette spiritualité est la clef entre la matérialité, le matérialisme que l’on connait bien, et notre condition de citoyen administré mais consommateur. On va assister dans des modes qu’on avait pas non plus anticipés, à une émergence d’une conscience collective avec différentes modalités de spiritualités. Et être spirituel, se questionner, tendre vers une cohérence entre le coeur, l’esprit et le corps, l’action associée à ce que nous permet notre corps, et bien c’est ça la clef. Et l’art, la culture là-dedans sont ce qui va constituer l’harmonie entre toutes choses. Alors le changement, la disruption elle est pas immédiate hein, il y a quand même une pédagogie à adopter autour de cette spiritualité, ça doit pas être une spiritualité uniquement utilitariste : « Faites du yoga vous serez plus productifs au travail! Faites du yoga vous serez plus productifs au télétravail! » hahahaha. Il y a de toutes manières cette optique utilitariste, mais n’empêche que même si c’est associé à une maximisation de notre productivité en tant que force de travail, et bah elle permet, bon an mal an, un petit retour sur soi, qui va faire émerger, je pense, une nouvelle dynamique dans les consciences, une société civile qui va se rendre compte, qui va étudier son impact positif, ou celui qu’elle a consenti comme négatif. Mais n’empêche que c’est vers le mieux, ça n’évoluera pas de cette manière et sur ce chemin direct en six mois hein, non, c’est plutôt sur des consciences à une échelle de cinq à vingt-cinq ans, comme des us et coutumes qu’on modifie. On est armés d’impatience, l’impatience de la société de consommation et du désir, et de l’envie de la consommation, ce qui devient totalement a-temporel sur le champ spirituel, hein, un présent qui condense ses expériences, ses sentiments, ses sensations passées, et ce tropisme pour l’optimisme de l’instant d’après, pour l’optimisme du demain, pas dans trente ans, et bah ça, ça va constituer une force et une irruption magmatique extraordinaire. Et je pense que les jeunes générations, la nôtre et les plus anciens, sont apte à se convier à une réflexion, à se convier à une synthèse, afin d’avancer tous ensemble sans laisser… en laissant le moins de personnes sur le côté. Il va falloir aller vers la synthèse. Agir en tant que vieux con, à mon époque ça marchait comme ça donc si ça peut continuer, oui, c’est confortable, mais chacun va devoir être honnête avec lui, chacun va devoir passer par un questionnement. Et je pense que l’époque y tend, à un questionnement sur le pourquoi, associé quand on y répond, à une question sur le comment, et si chacun se demande pourquoi et si l’on réfléchit collectivement aux conditions durables du comment, on va pouvoir avancer. On va pouvoir se donner du courage, et former ce qui a toujours été comme une unité. Voilà, dans un environnement qui est le nôtre, dans un univers qui est beaucoup plus grand que nous, on va pouvoir se replacer comme des éléments significatifs, comme des éléments infimes de cet ensemble extraordinaire. L’égo, se considérer comme un super-humain qui a un gros impact et qui peut gagner du fric c’est bien mais il faut savoir aussi être humble face à l’histoire, humble face au temps. Ma centaine d’années de vie comparée à l’histoire de l’humanité, à l’histoire du vivant ce n’est pas grand chose, donc revenons à des considérations où l’on est plus guidés par l’amour que par la peur. Et je finirai par cette formidable citation de d’Osho, qui dit « Le courage n’est pas l’absence de peur mais la volonté d’y faire face. » Il faut accepter ses peurs afin de vivre libre, vivre l’amour. Et je pense que c’est bon. 

Haha c’est hyper drôle parce que la dernière question que j’avais préparée c’était que, tu sais le slogan de Magma c’est « Reclaim the climax », du coup j’allais te demander quel était ton slogan, en français ou en anglais. Est-ce que c’est cette citation ou tu en as une autre?

Mon super slogan c’est : « Rien a rattraper, tout a vivre ». Le rattrapage des choses passées est impossible. Dans les conditions que j’ai connues ok ça a été une réalité mais maintenant ça n’existe plus. Autant cultiver la capacité de cultiver le bon, le beau pour vivre l’instant, parce que c’est tout ce que l’on a et c’est vraiment tout ce que l’on a, et tout est à vivre dans l’instant et juste dans l’instant d’après. Toutes nos projections à quinze ans ça n’existe pas. C’est pas une réalité pour le moment donc restons dans l’instant. Ça ne veut pas dire être un avide actionnaire, complètement opportuniste qui voit le profit à court terme, non, non, non, c’est vivre en acceptant de voir ses peurs et vivre en acceptant de voir le beau, le bien et le bon partout.

Trop bien. Donc, « Rien a rattraper, tout à vivre. ».

Yeah, hahah. 

Merci beaucoup Thibault.

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