3 2 3 Carrefour 21 décembre

En avril 2019, Jules Urban est en Albanie pour travailler avec Alexander Schellow sur le fait de déplacer sa pratique artistique dans un autre contexte. C’était une sorte de résidence collective avec des étudiant.es de l’erg avec Samuel Cordat qui travaille maintenant pour The Skateroom, Albert Lemaistre avec qui, entre autres, j’ai cofondé Gilbard, Lazza Gio.

Son séjour a inspiré le projet The Circle of Memory avec l’ARG (Animation Research Group).

Avant de faire ce projet, il avait analysé le carrefour de Buyl. On avait réalisé une expérience de ce carrefour dans la toute première expérimentation ergTV à erg galerie. Dans cet épisode, les cobayes essayaient de mesurer le temps que prenait les feux à changer de couleur avec leur propre poul.

Avant de faire ce projet, il avait analysé le carrefour de Buyl. On avait réalisé une expérience de ce carrefour dans la toute première expérimentation ergTV à erg galerie. Dans cet épisode, les cobayes essayaient de mesurer le temps que prenait les feux à changer de couleur avec leur propre poul.

Performance de mesure de feux tricolores avec le poul, vers 06:20 lors de l’épisode 0 de ergTV, le 31 janvier 2019 à erg galerie.

Pour ce projet, Jules choisi donc un carrefour du centre ville de Tirana qui possède des caractéristiques plus intéressantes, le Carrefour 21 décembre.

D’abord, Jules a choisi ces deux carrefours car ils étaient tout deux entre la périphérie et le centre, et proches de chez lui. Malgré leur caractère banal, ce sont des lieux de passage très fréquentés permettant de comprendre comment la ville se régule selon les différentes surprises potentielles.

Dans l’exemple du carrefour de Buyl, les feux ne fonctionnent pas seulement selon un modèle régulier mais aussi grâce à un capteur de présence, dans le carrefour du 21 décembre, ils ne fonctionnent que selon un minuteur. De plus, s’il pleut ou s’il y un incident, c’est la police qui prend le relai, c’est pourquoi cette analyse scientifique se transforme par moment en enquête policière car il cherchait à comprendre quel étaient leurs rôle et comment ils prenaient des décisions qui avaient un impact sur le déroulement du carrefour. C’est pourquoi il les prenaient en filature. A ce moment là c’était un des seuls endroits de la capitale où on ne pouvait pas accéder sur google street view.

Après différentes expériences dans ce lieu, il décide de l’analyser méticuleusement afin de se préparer à mémoriser et retranscrire un maximum d’événements qui pourraient avoir une influence sur son fonctionnement du 24 au 28 mars 2019.

De retour à Bruxelles, il se lance dans un grand chantier, celui de reenacter cette semaine là et toutes ses particularités à échelle 1:1 dans le théâtre de la Project(ion) Room.

Il me demande de reproduire le son de ce carrefour sans jamais l’avoir visité avec un concert acousmatique spatialisé. L’idée de base était de jouer un concert d’ouverture de cette semaine de direct qui permettrait d’avoir la matière sonore servant de bande originale pour le reenactement qui serait rejoué tout au long de la semaine selon des indications précises. On s’imaginait divers instruments et machines capables de jouer tous les sons de cette grande partition.

Voici le texte écrit par Jules Urban annonçant le spectacle :

“Le carrefour 21 Décembre est situé à Tirana, la capitale de l’Albanie, près du centre historique de la ville. Il possède toutes les caractéristiques d’un carrefour fonctionnel, on pourrait même le qualifier de « classique », car il permet aux différents flux (les piétons, les voitures, les transports en commun) de s’y déplacer. Différents feux sont dédiés à chacun de ces flux et synchronisés entre eux afin de permettre à tous de circuler sans accidents, de manière à ne pas bloquer les voies pour que tout le monde puisse atteindre sa destination. Ce carrefour est, en quelque sorte, un lieu de passage. En Mars 2020, plus précisément du 23 au 28 Mars, aura lieu dans la salle de spectacle projec(tion) room le reenactment d’une semaine d’observation de ce carrefour ayant eu lieu il y a tout juste un an. Il y aura 5 jours de représentation retransmis en live de 8h à 20h, ou sera reconstitué l’espace du carrefour en taille réelle. Dans cet environnement seront rejouées les actions observées durant cette fameuse semaine de mars. Chaque élément sera recomposé avec l’aide de spécialistes de diverses thématiques, comme une météorologue, des bruiteurs de rue ou un marionnettiste. Si cette reconstitution a pour but de revenir sur les évènements de cette semaine, de rejouer un moment de vie, elle permet aussi à tous ceux qui le veulent d’accroitre leurs connaissances sur ce sujet longtemps sous-estimé par les analystes de tous genres. Si vous voulez en apprendre plus sur le carrefour 21 Décembre du 24 au 28 mars 2019 entre 8h et 20h, je vous invite à venir observer et discuter autour de cette thématique lors de la représentation qui aura lieu du 24 au 28 Mars 2020 entre 8h et 20h ou à regarder la retransmission live. J’espère que cette recherche vous donnera envie, a vous aussi, de vous spécialiser sur ce sujet si peu développé à l’heure actuelle.”

Affiche du reenactement par Sophia Hamdouch, typographie par Ugo Olivari, dessin par Kassler.

Cependant, la pandémie de Covid-19 décide qu’il n’en sera pas ainsi, le mercredi 18 mars 2020 commence le premier confinement.

Dans l’urgence, le projet est repensé dans son intégralité pour être réalisé à distance.

Jules se rend compte qu’il faut refaire aussi le public prévu initialement dans l’espace ouvert. Il commence par se filmer lui même sur un fond vert pour humaniser le futur décor digital et renforcer la métaphore de solitude que peut constituer cette oeuvre.

Jules Urban avec un public constitué de Jules Urban préenregistrés. Video still de Carrefour 21 décembre / Jeudi 11 avril 2019 (Part. 1) à 03:41:25.

Le lieu doit être reconstitué en 3D, Monsieur Pimpant se souvient qu’Orson Rouffignac avait travaillé là dessus pour un autre projet, Jules le contact pour se joindre au projet. Les voitures sont modélisées et animées par Monsieur Pimpant. Clémence Fontaine modélise sa sculpture reproduisant la météo afin de l’intégrer au décor 3D.

Les danseurs.ces se sont filmés depuis chez iels sur le “fond vert” qu’iels avaient sous la main. Il en est de même pour les performeurs qui devait venir irl dans le théatre.

La sculpture de kiosque à journaux est aussi digitalisé par Samuel Cordat qui l’avait fait, aidé par Léa Barachina. Iels s’occupent aussi de numériser et mapper les expositions qui étaient prévues à l’intérieur.

Le Kiosk en 3D présentant une exposition d’affiches. Video still de Carrefour 21 Décembre / Mardi 09 Avril 2019 (Part.2) à 02:20:38.

La télévision du café d’angle du carrefour a été meublée par Nathan Saudek car pour des questions de copyright impossible de rediffuser les clips qui était dans la tv originale.

Le projet de sculpture de feu de circulation commencé par Martin Campillo et Nicolas Dau est abandonné.

Pendant ce temps ce temps là, j’enregistre donc de longues séquences avec l’aide de Martin Canty, mon colocataire et aussi musicien. Nous utilisons les objets à disposition pour coller au mieux avec l’explication du carrefour de Jules.

que j’articule ensuite en de longues pièces sonores qui forment la bande originale de cette grande longue performance digitale. 5 x 12h

Martin Canty enregistré par Marius Escande reproduisant le son d’un scooter avec des tongs sur un radiateur, à Saint-Gilles le 8 avril 2020.

Le texte qui décrit chacune des vidéos disponibles sur Youtube :

“Voici le reenactment d’une semaine de vie au carrefour 21 Décembre a Tirana, la capitale Albanaise. Ce projet part de la volonté de comprendre le fonctionnement de ce carrefour, afin d’analyser son influence sur le rythme de vie des habitants de la ville. Après plusieurs expériences, j’ai décidé d’observer simplement les différents événements ayant lieu a cet endroit, toute la journée. Ceci donnant lieu a une reconstitution partielle des événements, subjective, qu’il semble possible de rejouer, afin de réinterpréter, de combler les vides et de revenir sur les incohérence de mon analyse. Ce live présente la performance qui aurait du avoir lieu dans la salle projection room, et reproduit donc non pas le carrefour en question mais la performance prévue originellement. C’est aussi un bon moyen pour sortir de chez soi.”

Jour 1 partie 1
Jour 1 partie 2
Jour 2 partie 1
Jour 2 partie 2
Jour 3 partie 1
Jour 3 partie 2
Jour 3 partie 3
Jour 4 partie 1
Jour 4 partie 2
Jour 4 partie 3
Jour 5 partie 1
Jour 5 partie 2

Chaque jour après le direct, on débrieffait, et on se rendait compte qu’on aurait eu beaucoup plus de mal à réaliser ce projet autrement. Il y avait trop d’inconnues qu’on avait pas du tout anticipé encore une semaine avant. Pour rigoler, on se disait que vu que c’est un projet d’adaptation ça tombe bien puisque là il fallait vraiment s’adapter.

D’ailleurs, ce qui est marrant dans le reenactement c’est la façon dont l’inconnu intervient lorsque c’est impossible de reproduire exactement un événement. Dans cette version Jules, vu qu’il était au final seul aux commandes, pouvait contrôler l’intégralité des événements donc pour réaliser au mieux son objectif de reproduire fidèlement les évènements, il suivait à la lettre sa partition. Mais de ce fait, il n’avait plus de surprises comme on aime les voir intervenir dans des projets collectifs comme celui-là. Cependant, il n’avait pas le temps d’écouter toutes les bandes originales que je lui envoyait la veille pour le lendemain. D’un jour à l’autre, je retouchais des niveaux pour que sa voix se mêle au mieux avec le son d’ambiance et qu’il paraisse le plus réel possible. Je m’étais amusé à ajouter quelques surprise à la partition, Jules devait réagir tout en restant dans son rôle. Il était content de ces blagues puisque c’est ce qu’il aime le plus dans les reproductions : les surprises.

La dernière phrase de la description de la vidéo “C’est aussi un bon moyen pour sortir de chez soi.” rappelle qu’à ce moment là, ce projet proposait un moment collectif en réaction à la solitude forcée engendrée par la Covid-19, c’est ce qu’on attendait le plus en fait, les surprises.

Cette grande performance, fut ensuite le socle du mémoire de fin d’étude de Jules Urban.

Ce mémoire devait servir de carte de visite/d’explication de la vision de Jules sur comment compliquer quelque chose de simple par la création fictionnelle. Comment produire de la fiction en essayant de reproduire quelque chose, la capacité d’appropriation de quelque chose est finalement très proche de l’inventer quand les contraintes sont nombreuses dans la réalité.